Une mitrailleuse nommée Justice

Cette publication est issue des archives du site du barreau d’Aix-en-Provence ; il s’agit d’un article qui avait été écrit par le bâtonnier Charles COHEN.

Nous sommes en 1870.

La guerre a éclaté entre l’Allemagne de Bismarck et la France du Second Empire.

Le Conseil de l’Ordre se réunit le 19 novembre 1870 sur la convocation spéciale de Monsieur le Bâtonnier, Maître TAVERNIER.

Entre autres résolutions, le Conseil décide de voter une somme de 500 francs pour l’acquisition d’une mitrailleuse qui sera offerte à la Ville d’Aix, afin de la tenir à la disposition de la Garde Nationale mobilisée.

“Quel nom lui donnera-t-on?” demande un membre du Conseil.

Après discussion, il est décidé de l’appeler “Justice”. Hélas ! Etait-ce ce nom qui ne convenait pas à un tel engin dont la vocation était de donner la mort ? Ou était-ce l’occasion pour la justice de s’opposer aux avocats ?

Le 12 décembre 1870, le Conseil de l’Ordre se réunit à nouveau et Monsieur le Bâtonnier fait connaître au Conseil que les mitrailleuses annoncées par les journaux comme coûtant 500 francs ont été, après expérimentation, déclarées ne pouvoir procurer de sérieux avantages et offrir même des dangers pour ceux qui seraient chargés de les manœuvrer.

Il demande donc au Conseil s’il veut revenir sur sa précédente délibération et l’emploi qu’il veut faire de la somme de 500 francs votée le 19 novembre.

Le Conseil rendra donc la décision suivante :

“CONSIDERANT qu’à la suite de diverses expériences, les mitrailleuses de 500 F n’ont pas été adoptées par les comités de défense.

“CONSIDERANT qu’il y a lieu de maintenir le crédit de 500 francs ouvert par la délibération du 19 novembre et de l’affecter à un emploi patriotique ou charitable qui sera ultérieurement indiqué.

“DELIBERE

“Que la mitrailleuse dont l’acquisition avait été décidée par délibération du 19 novembre ne sera pas achetée et que le crédit de 500 francs demeure ouvert pour ladite somme être affectée à un emploi patriotique ou charitable qui sera ultérieurement délibéré”

Que fera donc le Conseil de cette somme de 500 F dont l’affectation devait être patriotique ou charitable ?

Une nouvelle délibération du Conseil de l’Ordre nous apprend qu’une souscription nationale pour la libération du territoire a été ouverte.

Le Conseil décide alors de faire preuve de son élan patriotique et, généreusement, porte à 1 000 francs sa contribution à l’effort national, mais, fort curieusement, prévoit des modalités de paiement qui dépendront de la contribution des autres citoyens.

En effet –décide-t-il– la somme de mille francs sera payable : 500 F quand la souscription aura atteint 50 millions et le solde quand elle aura atteint 200 millions.

Les conditions fixées par le Conseil de l’Ordre ont-elles été remplies, puisque tout dépendait du montant de la souscription nationale ?

De nouvelles recherches devront être entreprises à ce sujet dans les Registres des Délibérations du Conseil de l’Ordre.