Histoires du barreau d’Aix-en-Provence

Cette publication est issue des archives du site du barreau d’Aix-en-Provence ; il s’agit d’un article qui avait été écrit par le bâtonnier Charles COHEN.

Écrire l’histoire du Barreau d’Aix en Provence serait une longue et lourde tâche.

Notre cher Barreau a, en effet, une existence multiséculaire et il faudrait toute la patience et la science d’un historien pour en retracer, exactement, la longue histoire.

Nous avons préféré vous raconter les « histoires » du Barreau d’Aix, c’est-à-dire les événements divers qui ont jalonné la vie de ce barreau et qui ont pu servir de leçon, ou en tout cas de repère, aux générations suivantes, événements parfois dramatiques, parfois drolatiques et divertissants.

Nous évoquerons parfois de grandes figures, avocats illustres, mais plus souvent peut-être des avocats restés obscurs et inconnus qui, tout autant que les premiers, ont marqué leur barreau et la profession d’avocat de leur empreinte.

Commençons cette chronique par l’évocation de l’une de ces figures, particulièrement modeste.

Tout le monde connaît, parmi les avocats illustres de la fin du XVIIIème siècle, PORTALIS qui fut non seulement un avocat éminent du Barreau d’Aix-en-Provence (on disait à l’époque « avocat au Parlement »), mais aussi l’un des rédacteurs du Code Civil.

Tout le monde connaît aussi son confrère SIMEON, au moins par la statue assise qui, devant le Palais de Justice, cohabite –précisément- avec celle de PORTALIS, dans la même posture.

Mais qui connaît JAUBERT ?

JAUBERT était avocat à Aix, en même temps que PORTALIS et SIMEON, mais un tout jeune avocat, le plus jeune peut-être.

Ah, si MIRABEAU l’avait choisi pour le défendre, il serait sans doute passé à la postérité.

Mais, MIRABEAU n’en voulût pas ; Maître JAUBERT était trop jeune, trop tendre.

De quel poids aurait-il pesé en face de PORTALIS, le grand PORTALIS, que l’épouse et adversaire de MIRABEAU avait choisi comme avocat ?

Mais n’y avait-il à AIX que PORTALIS et JAUBERT ? Et tous les autres, dont certains étaient réputés et brillants ?

Il fut impossible à MIRABEAU de les consulter, car, habileté suprême, son épouse les avait tous consultés, l’un après l’autre ; ce qui leur interdisait de prêter leur concours à MIRABEAU.

Restait donc JAUBERT, trop jeune, trop faible, trop vulnérable !

Et voilà comment JAUBERT est resté un illustre inconnu ou du moins n’est aujourd’hui connu que pour une seule raison : de tous les avocats d’Aix-en-Provence, il était le seul disponible, mais MIRABEAU n’en voulût pas et préféra assurer lui-même sa propre défense.

Il n’en accomplit pas moins une très honorable carrière, marquée par un épisode tragique qui frappa de stupéfaction la ville toute entière.

Le dimanche 30 mai 1784, la Marquise d’Angélique d’ENTRECASTEAUX était découverte assassinée, dans son hôtel particulier, qui porte actuellement le N° 10 du Cours Mirabeau.

Ce jour-là, devait avoir lieu, pour la première fois à Aix, le lâcher de ballon des frères MONTGOLFIER, événement qui passa presque inaperçu, tant l’émotion était forte en raison de la personnalité de la victime et surtout de son mari, le jeune et beau Marquis Jean-Baptiste d’ENTRECASTEAUX, président à mortier au Parlement de Provence, c’est-à-dire l’un des plus hauts magistrats de la cité.

Evénement d’autant plus extraordinaire que l’assassin de la pauvre Angélique était son propre mari, qui n’avait trouvé aucun autre moyen pour se consacrer entièrement à sa maîtresse.

Et JAUBERT dans tout cela ?

Angélique d’ENTRECASTEAUX était une cousine de MIRABEAU. JAUBERT fut le premier à l’informer du drame, dans une lettre très détaillée que l’on trouve en original au Musée ARBAUD à Aix. Il y exprime sa grande émotion.

N’avait-il pas été consulté, peu avant le crime, par la malheureuse Angélique qui lui aurait fait part de ses inquiétudes et de la menace qui pesait sur elle ?

Paradoxalement, Maître JAUBERT aurait été le seul avocat en qui elle pouvait avoir confiance, puisque cousine de MIRABEAU, dont le procès avait eu lieu l’année précédente, elle se méfiait de tous les autres…

Mais, nous devons à la vérité de dire qu’il n’y a là rien d’historique ; c’est simplement la thèse d’un auteur dramatique dont la pièce a justement pour titre « Angélique ».

Des JAUBERT, la profession d’avocat en a eu bien plus que des PORTALIS. Il n’en ont pas eu moins de mérite, s’ils ont eu, par contre, moins d’honneurs.